Les débuts du yachting en France - Les régates

Le 03/12/2024 1

Dans ce nouvel article, Patrick Vuillefroy poursuit le récit des débuts du yachting en France en s'intéressant ici aux régates, notamment dans notre région.

Les régates (2/3)

A leur début les régates jouissent d’un véritable engouement de la part du public qui vient nombreux assister à cet élégant spectacle, de plus gratuit. Les clubs les transforment en fêtes nautiques. Des trains spéciaux sont organisés à destination des côtes, des bateaux offrent des journées en mer pour suivre au plus près les régates. Par ailleurs la Marine de l’Etat apporte souvent son appui logistique et met des navires à la disposition des sociétés nautiques. Ils embarquent les membres des comités des régates.

Des tournois à armes courtoises, pour reprendre l’expression du Journal du Morbihan, voient les estacades, les quais encombrés de spectateurs suivant aux jumelles le déroulement des courses. Pour ceux qui n’y entendent pas grand-chose, une fois les yachts partis s’affronter au large et avant leur retour, se déroulent dans les ports des courses à la godille ou à l’aviron, des courses en baquet ou des spectacles d’équilibristes en périssoire…

Parce que marins professionnels et yachtsmen ont vite compris que leurs intérêts convergeaient, les régates réservent une place importante aux bateaux de travail. Marins par nécessité et marins pour le plaisir se  côtoient dans un respect mutuel. D’une part la recherche de l’amélioration de la vitesse était en effet une préoccupation commune, d’autre part les plus grands yachts étaient menés par d’anciens marins pêcheurs. Le montant des prix des premières régates favorisent les courses de bateaux de pêche.

Pour inciter le déplacement des yachts des clubs voisins, des prix de plus en plus importants sont distribués : un total de 139 000 francs pour l`année 1880 en France. Les ministères, les conseils généraux, les municipalités, les sociétés d’encouragement nouvellement fondées, UYF et YCF, le Président de la République contribuent à doter généreusement ces régates. Médailles en or, en argent, en bronze, matériel de navigation mais surtout prix en espèces récompensent les participants et les incitent à suivre les régates de la saison le long des côtes.

Le règlement du Yacht Club de France prévoit que les départs puissent être donnés de quatre façons différentes, les règles de chaque course en fixent le choix :

  • bateaux à l’ancre, voiles hissées ou amenées suivant les instructions de course - les ancres n’étant pas obligatoirement relevées lors du départ.
  • départ volant, les bateaux croisent devant la ligne de départ qu’ils franchissent dès le signal donné.
  • départ au chronomètre. Les bateaux dans ce cas passent la ligne de départ à leur choix dans les 15 minutes qui suivent le coup de canon.
  • départs successifs. Les départs sont décalés par le jury suivant l’allégeance des bateaux de façon à ce que les handicaps soient rendus dès le départ. Ce choix permet des arrivées regroupées avec pour avantage que les spectateurs profanes y retrouvent leur logique : le premier arrivé est le gagnant.

En 1879, 33 bateaux sont sur la ligne de départ à Lorient. La Société Nautique de Lorient se présente comme l’une des plus importantes de Bretagne cette année-là.

Constatant que le nombre de constructions nationales se réduit, le Yacht Club de France en 1882 réagit en créant un prix de 2 000 francs pour les yachts de plus de 20 tonneaux qu’il attribue au club de Lorient pour ses régates du 14 août.

Sous l’impulsion du Comité des Régates de Bretagne la saison de régates s’organise dans une logique de circuit de façon à ce que les cruisers puissent participer à un maximum d’entre elles.

Les régates sont aussi devenues un moyen pour les yachtsmen français de confronter les certitudes architecturales des deux pays installés alors comme les maîtres incontestés du yachting : la Grande Bretagne et les Etats-Unis, « couloirs lestés » contre « plats à barbe » pour reprendre les surnoms de leurs bateaux à l`époque et ainsi établir les bases d’une architecture française.

Les régates que la société des régates de l’Ile Tudy nouvellement  créée organise en 1884 sont les premières de la côte sud du Finistère. Ce rassemblement est un grand succès puisqu’y participent des yachts venus du Havre, de Nantes, de Douarnenez, de Lorient ainsi qu’une douzaine de canots de pêche. La volonté des créateurs de la société de voir réunis marins-pêcheurs et plaisanciers se concrétise par la hiérarchie des montants des prix distribués : 100 francs au premier dans chaque série des canots de pêche, 40 francs pour celles des yachts. Le canot de la Douane remporte cette année-là les courses à la godille.

Elle applique également l’idée d’un classement réservé aux amateurs, c'est-à-dire des bateaux menés par un patron et un équipage amateurs. De nombreux yachts étaient déjà à l’époque menés par des marins professionnels. Au programme de ces journées est souvent prévue une « régate à un seul homme », plus précisément son propriétaire, ceci en rupture avec la tradition qui voulait que seuls les marins professionnels se partagent les manœuvres du bord.

Au fil des années les régates deviennent tradition, prennent de l’ampleur et s’étalent sur plusieurs jours : celles de Saint Nazaire, par exemple, deviennent Semaine Internationale.

 

La création de la coupe des un tonneau est due à l’initiative du Cercle de la Voile de Paris en 1898. La coupe style art nouveau est en argent, elle pèse 10 kg. Cette compétition internationale est réservée aux voiliers d’un tonneau maximum comme son nom l’indique… du moins à ses débuts puisque les 6m JI prendront le relais en 1907, suivis en 1960 par les croiseurs de 22 pieds jauge du RORC.

Le règlement initial prévoyait qu’elle soit disputée sur le bassin de Meulan ou à Cowes en cas de victoire étrangère. Elle s’adresse à ses débuts aux petits dériveurs des classes les plus répandues impérativement menés par des équipages d’amateurs. Elle est devenue une des courses les plus internationales du yachting.

Gustave Caillebotte, architecte naval, peintre, Régates à Argenteuil 1893

La Coupe de l’America

La création de la régate la plus prestigieuse, la coupe de l’America, a été évoquée dans un précédent document. Elle s’est longtemps disputée exclusivement entre Etats-Unis et Grande Bretagne en dehors des années 1876 et 1881 qui ont vu une symbolique participation canadienne.

Les bateaux le plus souvent construits spécialement pour la coupe sont de plus en plus importants jusqu’à la démesure du plan tracé par Nathanael Herreshoff pour Reliance en 1883 : un côtre dont la coque mesure 44 mètres avec un élancement et une voûte surdimensionnés (8,4m pour l’avant et 8m pour la voûte), 1500 m² de voilure et 5,9 m de tirant d’eau. Le voilier est mené par 64 hommes d’équipage. La jauge ne taxe pas ce qui est au-dessus de l’eau d’où ces élancements démesurés … mais tellement plaisant pour l’œil !

Reliance

En 1930 la Classe J est la première jauge sans handicap adoptée pour la Coupe, les concurrents s'affrontent en temps réel. Les voiliers deviennent – relativement - plus raisonnables, longueur autour de 36 mètres.

De cette riche période il nous reste les belles images que  nous ont laissées Franck et Keith Beken, un vrai trésor. La classe J renaît actuellement par la volonté de yachtsmen fortunés qui s’affrontent dans un championnat du monde. Les 12m JI plus économiques sont retenus pour la coupe à partir 1958. La France rentre dans le défi en 1970 sous l’impulsion de Marcel Bich, « la pointe Bic », et participe aux trois défis suivants sans arriver à passer le cap des épreuves de sélection. En 1987 un nouveau défi français est lancé par le créateur de la société Kis qui se voit refuser le nom éponyme dont il baptise le bateau, considéré trop commercial. Kis n’étant pas accepté Serge Crasnianski par une belle pirouette le nomme French Kiss. Barré par le baulois Marc Pajot French Kiss arrive en demi-finale des épreuves de sélection.

Actuellement les régates de la coupe sont irréelles, le nouveau support de 2024, les AC 75 sortent de l’eau pour voler à plus de 40 nœuds.

La Coupe de France

Un des objectifs du Comité des Yachts Français créateur de cette coupe en 1890 est d’encourager la construction française afin qu’elle figure honorablement dans les régates internationales.Sont admis les yachts de toutes nationalités, de 5 à 20 tonneaux, à condition qu’ils soient construits dans le pays dont ils battent pavillon, et conçus par un architecte de ce pays, sans restriction sur l’origine du constructeur ou des matériaux employés. Sa gestion est confiée depuis 1892 au YCF. La première épreuve est disputée dans la rade de Brest et confiée à la Société des Régates de Brest.

Une modification au règlement limite la participation à deux bateaux : le yacht ayant porté le défi affronte le tenant du titre. La coupe part en Angleterre en 1898 et revient en France en 1900 1900 à la faveur d’une erreur architecturale puis part en Italie pendant une année avant de retrouver la France et d’être gagnée par les Allemands en 1906. Un comité breton se fixe l’objectif de rapporter cette coupe et se lance dans la construction d’Ar Men cette même année.

 

Une stricte préparation, un architecte du Pellerin talentueux, Talma Bertrand, un solide équipage sous l’autorité de Jean Féat assurent la nette victoire d’Ar Men en juin 1907, sous les yeux de l’empereur Guillaume II avec plus de 5 et 11 minutes d’avance aux deux manches. Et la coupe revient en France. Jean Féat reçoit sa prime contractuelle de 500 francs. Cette coupe de près de 6 kg d’argent, existe toujours et se dispute sur les supports différents définis par le YCF, les 10m JI en 1908, puis les 8m JI, à partir de 1953 les 5.5m JI, série qui laissent la place aux voiliers de  course au large. Depuis 2023 la coupe est disputée sur 12m JI.

Suzette (San Remo, 1903) et Ar Men (Kiel, 1907) deux vainqueurs de la coupe de France

Les Coupes de Bretagne

Le président de la Société des Régates de l’Ile Tudy a un rôle majeur en 1901 dans la création du Comité des Coupes de Bretagne qui fédère les représentants des sociétés nautiques de Nantes, Saint Nazaire, Vannes, l’Ile Tudy, Concarneau et Douarnenez. Le comité met en place un réel calendrier pour la saison de régates, sans chevauchement et dans une logique de circuit de façon à ce que les cruisers puissent participer à un maximum d’entre elles. Il institue deux 2 coupes courues « à la mer »(classe de 5 à 10 tx, et classe de 2,5 à 5 tx) « uniquement yachts de construction française ou francisés appartenant à un propriétaire français membre d’une société nautique reconnue ». Le conseil de l’UYF appuie cette création et la dote d’une somme de 1500 francs à répartir sur les 3 prochaines années ainsi que 2 médailles de vermeil.

Société des Régates du Pouliguen

La Société des Régates du Pouliguen créée en 1872 dont Jules Benoît-fils est le président, organise à partir d’août des régates annuelles qui sont très suivies. La société est encouragée par l‘UYF et le YCF, par le ministre de la marine qui lui attribuent régulièrement leur concours et offrent médailles et dotations en espèces. Elle l’est aussi naturellement par la municipalité du Pouliguen.

Une coupe est attribuée par la ville une autre par le Maire. Les bateaux sont groupés en série, jusqu’à 7. La compagnie des Chemins de Fer d’Orléans annonce les « trains de plaisir, une journée au bord de la mer » qu’elle organise pour les régates. Le pyroscaphe appareille de Nantes pour rejoindre Le Pouliguen après une suite d’arrêts sur la Loire. Les journaux font état d’une grande fréquentation de spectateurs. Massés sur la jetée et sur la plage ils suivent les bateaux qui évoluent en baie. Départs au chronomètre le long de la jetée pour les yachts ou au mouillage voiles basses pour les canots de pêche, bord vers une bouée mouillée à Pornichet laissée sur tribord, et retour en laissant sur tribord une bouée mouillée entre les Evens et Penchateau.

C’est le rituel qui semble institué, un parcours d’1h30 à 2 heures qui par choix fait naviguer les voiliers à la vue des spectateurs. En 1880 le départ est donné, tous les bateaux étant à l’ancre à l’entrée du port « devant la plage des bains ». Voiles hissées ils mettent le cap sur Pornichet, grand largue. « Camargo (côtre de 12 tx) établit sa fortune, Stella( côtre de 16 tx) son spinnaker ». Les régates de 1884 sont contrariées par la concomitance de celles de Pornic, les flottes doivent faire un choix. Un problème qui existait donc déjà… rien de nouveau en 2024 dans le domaine !

« Pendant ces courses, des jeux organisés par la Société des Régates occupaient l’attention : les courses en sac, les douches russes, le mât de cocagne, la course aux canards, etc. Enfin la nouvelle fanfare du Pouliguen prêtait son concours à cette fête. Le soir la promenade fut illuminée, un feu de joie allumé sur la plage et un superbe feu d’artifice tiré sur la jetée ; enfin la journée se termina par une retraite aux flambeaux. »(Le Yacht, 7 août 1892).

Rien ne peut mieux illustrer le succès des régates du Pouliguen que ce témoignage publié par Le Phare de la Loire le 1er septembre 1887 : « les régates comme toujours ont été splendides ; Le Pouliguen regorgeait de monde et le soir il n’y avait plus de pain, plus de viande, pas même de gîte pour abriter les malheureux retardataires qui ont été obligés d’aller jusqu’à Batz ou Le Croisic pour trouver à souper et à dormir et encore à grand’peine. Au Croisic, lundi, on a été obligé d’installer des lits jusque sur des billards et les matelas étaient pris d’assaut ».

Le 1er prix de la construction française lors de la régate de 1896 reçoit un fusain de Charles Leduc. Il est gagné par Mimosa, un« houari bulb-keel » appartenant à J.Etienne.

Deux médailles décernées lors de régates au Pouliguen (en 1881 à Stella par le YCF et en 1920 par la ville)

Les régates du Pouliguen de 1884 et 1889 vues par Charles Leduc

Charles Leduc, nantais, peintre officiel de la Marine, (1831-1911), a été longtemps correspondant du journal Le Yacht qu’il illustrait jusqu’à ce que ne s’impose la photographie.

_____________________________________________

Patrick Vuillefroy, décembre 2024

Pour partager cet article sur vos réseaux sociaux :

2 votes. Moyenne 5 sur 5.

Commentaires

  • Dahan Georgrs

    1 Dahan Georgrs Le 09/12/2024

    Bel article parfaitement documenté

Ajouter un commentaire

Anti-spam